j’ai des demi-diplômes - j’suis pas la seule - des demi-diplômes qu’on passe en regardant ses mains - ceux dont on jette les cahiers d’un semestre à l’autre - ceux des entrées rafistolés sur le papier à cv - toute la partie branlante de l’entretien






n’y a-t-il rien de meilleur que l’expérience ? - solo de violon doublé écho - recherchons personne ayant une expérience de deux ans minimum dans le métier - comment gagner de l’expérience ?

je n’ai pas les cheveux du violon - ni le costume de scène noir qu’on voit pas dans la masse des costumes noirs - mais des trous dans ma frise de l’âge adulte - des brainfreezes de doigts dans la prise

et aère ta chambre ouvre les volets tire les rideaux j’ai préparé un ris de veau

je ne suis pas la seule - nous travaillons comme des enfants la nuque pliée sur la montre du poignet cassé - les fainéant.es - les suffisant.es



professionnel.les de quoi au juste ?


de nos années - d’la réponse préparée - du on verra bien - du bouchage de trou - des on sait nager mais pas plonger - professionnel.les de l’essai-erreur

nous avons de petits chiffres à côté d’un petit symbole sur le compte - nous ne comprenons pas la devise des devises - notre salaire fuit et nous fermons les yeux - la rentabilité des petits chiffres - on est perdu.es quand on entend à la radio des grands chiffres à rallonge - nous avons débranché - nous nous sommes jamais réellement branché.es - nous n’y croyons pas - nous n’y mettons aucun sens - nous imaginons des gens nager dans des piscines d’argent virtuel comme l’oncle picsou en hologramme et nous haussons les sourcils de dégout - nous faisons nos courses sans avoir vu les publicités - nous n’aimons pas les grands caddys - peut-être uniquement les conduire dans des allées vides à des heures creuses de supermarché - nous commençons nos réponses par des « euh » qui s’allongent - nous ne disons pas grand-chose avec de belles phrases pompées d’un forum mis à jour y’a dix ans sur des astuces de grand-mère qui marchent encore - des phrases pompeuses pour rencontres pompeuses avec les supérieurs dégarnis d’une institution désuète qu’on verra plus jamais

repasse ton col blanc de quoi tu vas avoir l’air pis coiffe-toi au moins montre que t’en as sous ta touffe montre que t’en veux que tu veux la job si c’est pas toi ce sera une autre personne

nous ne comprenons absolument rien aux petites lignes sur la fiche à la cotisation aux frais imposables et aux frais de déplacement qu’on termine par payer d’notre poche parce qu’y a trop de conditions trop de formulaires 



le paroxysme du temps long longtemps - le désespoir retrouvé - l’heure creuse qu’en dure quatre mais qu’est payée une - nous avons des discussions basiques en salle de pause - nous regardons la télé en salle de pause - nous achetons des sucreries qui coutent dix minutes de travail à notre pause de dix minutes dans les machines de la salle de pause - nous avons un badge qui ouvre très peu de portes 

« le travail c’est la santé, ne rien faire c’est la conserver » chantent avec un coup de coupe les patriarches qui travaillent dur - on peut blaguer une minute mais après on se met au boulot - nous ne voulons pas chanter la chanson pour la blague puis y retourner - notre uniforme n’est pas souvent lavé car en rentrant du travail on oublie de suite notre sac - saint déodorant du dévouement - nous sommes dans le fond du panier de ne pas avoir joué le jeu - les règles étaient pourtant simples il a bien réussi regarde maintenant où il en est - dans l’usine de papier toilette nous utilisons le bidet - nous sommes déguisé.es - tapi dans l’ombre - dans le décor pour la photo - génération de fainéant.es



faut bien vivre pleurniche pas tu t’attendais à quoi ? - tu peux pas rien foutre et manger à ta faim



mais justement nous foutons rien





à chaque entretien - berner avant d’hiberner

berner le sens pour un pécule vacances













et que pouvez-vous offrir à notre entreprise ?
 







je ne sais pas 

pourquoi au juste ?



ayoye c’est beau ma grande mais tu verras quand t’auras des enfants

ma grande si j’ai de la chance 

qu’on me répond comme pour se convaincre de la validité d’avoir les bras baissés - et de tout recommencer 








nous sommes les pièces perdues du casse-tête



t’es où toi ? tombée de la table ou encastrée ?