tu t’es cachée mais j’entendais à l’intérieur la porte pas huilée et le plancher qui
travaillait - tu n’es pas disponible le samedi soir - t’es jamais disponible - les lundis les mardis les mercredis les jeudis les vendredis les dimanches non plus - mais tu dis quand même peut-être - ou filme-toi sinon pour que je te vois - envoie un message - dis-moi qu’t’es là pis j’viendrai et j’reviendrai - je sais que tu es chez toi à t’exposer à la lumière bleue pis qu’tu veux ouvrir à personne
est-ce que t’es là ? je dis alors que je sais qu’t’es là mais tu réponds pas
tu te mets en tête d’avoir toujours l’air propre alors tu veux pas
t’montrer avec les cheveux de médusa - mais on pourrait faire d’autres affaires - y’a du print léopard à porter
- du maïs à manger - arriver à l’heure en fin d’après-midi
dix-huit heures à la sortie des bourreaux - y’a les courses
à faire avec le reste du compte alors que la livre de pommes a encore augmenté - n’importe quoi tout me va - passer le temps ensemble
j’peux aider
t’attends que le chat vienne te péter sur les pieds pour lui donner
de la nourriture et te sentir utile - à deux à tourner en rond - ta tente va brûler de l’intérieur parce qu’il va commencer à faire trop
chaud - tu tournes en rond sur un brasier - tu t’amoindris doucement - les yeux dans le vide remplis à ras bord
j’ai attendu un peu - je suis revenue mais je crois qu’t’as fini
par partir - j’entends plus rien à travers la porte
t’es où ?
pu de bruit de porte pu de bruit de chut faut pas faire du bruit
*****
UNE LETTRE
QUE TU M’ENVERRAS BIEN PLUS TARD - RANDOM - COMME SI RIEN :
Avant moi,
d’autres sont sorties en bas, c’est habituel. Alors quand j’l’ai fait à mon tour, on a couru rapidement vers moi, pour mettre le bras sous le mien, m’enrouler,
tout va bien se passer, pour me guider à nouveau en dedans où le chauffage est mis fort. Comme une situation bien connue bien répétée. J’avais la robe de
chambre, tout ça. Imagine. Fait meilleur l’intérieur, je sais pas ce qui m’a pris. Y’a une salle commune pour la
télé, les visites et les jeux. Un grand salon de pavillon. Trois étoiles le luxe. C’est
le gouvernement qui paie pour pu voir ma face. On peut jouer au scrabble sur
la même table qu’on utilise pendant les visites. C’est souvent autour d’une
table les visites, pour poser le verre d’eau qu’on boit pour passer les blancs,
pour baisser dedans ses yeux mouillés, avec le sentiment de culpabilité qui
monte. Mélangez ça à de la honte dans la marmite.
Ma chambre c’est sommaire. Un
couloir donne sur toutes les chambres du pensionnat de vieilles filles qu’nous sommes devenues.
Délurées, certaines débrayées. Y’a un lit, une petite télé en hauteur comme à
l’hôpital. C’est l’hôpital. Mais avec des barreaux aux fenêtres. Si j’veux
j’peux être là, pis personne m’embête. J’ai juste à faire et prendre ce qu’on m’dit.
J’suis seule, j’passe le temps quand d’autres travaillent. Par contre je fais aussi
travailler les autres, c’est un peu comme du travail dans le fond. Y’a des tas de fantômes dans la
chambre. Des tas et j’les vois pas. J’suis pas là pour ça moi, mais j’les sens.
J’sens les courants froids dans les pièces. Certaines sont plus froides que
d’autres. Certaines j’ai l’impression de les connaître pis d’y être à l’aise.
J’sais pas vraiment qui est là depuis quand mais on est toutes là - même une nuit c’est déjà long
de toute façon. Fait froid dans les couloirs. Fait froid dans la chambre. Les
personnes qui travaillent sont plus ou moins froides, mais la bouffe est
chaude. J’ai pas à me soucier de la bouffe. Je trouve ça bien.
Enfin… Moyen,
finalement. J’mange pas, j’bouffe. J’ai pas roulé d’char depuis un bail, j’ai
pas fait de courses depuis un bail, et même quand je me promène, je peux pas vraiment
le faire seule. Enfin si, mais l’enceinte me rappelle qu’j’suis pas seule,
qu’la comté est pas bien grande m’sieur Frodon. À la télé, j’entends pis j’vois
les gens qui se démènent dans le vrai monde. J’les regarde depuis mon monde
entre parenthèses. Mais je suis pas la seule, on est plein. Dans la salle
commune, on évite les informations, forcément. On a qu’à le faire dans sa
chambre en douce pour pas imposer le théâtre des bombes humaines aux autres.
Moi, j’suis là parce que je dors beaucoup. Parce que je dors et que j’ai des
cernes jusqu’à la bouche. J’suis là parce que mes yeux rouges s’obstinent à
regarder dans le vide pendant de très longues minutes. Pis qu’ils se mettent à
combler le vide avec des ombres noires. J’ai pu de bracelet, ni de collier.
Mais un gros pansement au poignet. J’ai des cachets à prendre souvent pendant
les repas. Ça m’assomme, j’dors comme j’t’ai dit. À chaque fois qu’je m’endors,
j’essaie de pas voir les ombres noires qui viennent me gâcher mes souvenirs.
J’ai peur de les avoir en rêve. Les cachets c’est pour atténuer, c’est pas pour
voir Lucy dans le ciel. J’dois faire le travail moi-même.
J’dois m’dépêtrer d’un truc qu’on m’a filé. J’dois m’débrouiller avec ça, faire
un tri des choses que j’ai pas demandé à recevoir. Un ménage. Y’a une
psychologue qui m’aide à faire ça seule. J’ai des toilettes et une salle de
bain rudimentaire dans ma chambre. Comme à l’hôpital si tu as de la chance.
Faque j’ai de la chance ?
Y’a des soirs, j’ai pas le goût de la compagnie
des autres, à m’faire éclater au scrabble alors j’reste dans mon lit à regarder
l’écran tout petit, perché en haut de la pièce comme un nid d’oiseau. J’connais
bien la télé maintenant. Avant je connaissais pas. J’connais les programmes. La
télé tourne en rond comme moi. Au moins je me sens moins seule avec. Ça change de la fenêtre
quadrillée. Des fois j’la laisse allumée juste pour me tenir compagnie parce
que je vois plus aussi souvent ma petite compagnie. J’veux dire j’vis plus avec. Elle m’rend visite. Quand j’la vois, ça fait ma journée. J’suis fière, j’la
présente aux autres, ça m’donne du baume. Mais elle peut jamais rester très
longtemps. C’est difficile de les recevoir autour d’une table. J’sais qu’elle
reviendra mais sur le coup ça me casse à chaque fois. Y’a un petit down de
montagnes russes pis j’veux dormir.
C’est pas ma faute si je suis là. On m’a
fait ça pis j’dois me débrouiller avec. J’dois me dépêtrer avec ces sales
draps. On me dit que je dois trouver le courage et que je suis courageuse. On
se serre les coudes avec les autres, elles sont fines. Mais quand ma visite
part j’ai pas le goût. J’les vois partir sans moi pis le château de cartes
tombe. Pas le goût de manger, j’remets la télé qu’j’écoute pas pis j’regarde le
mur derrière l’écran. J’suis rendue correct au scrabble. Du moins mieux
qu’avant. J’aime pas vraiment ça les jeux mais je joue. J’sais pas dire non si
on me demande. Et si je peux faire plaisir j’le fais. Y’en a qui ont pas
souvent de la visite. Rummikub, bingo, memory, casse-tête, je joue à des trucs
qui m’auraient éteinte avant. C’est que j’ai le temps maintenant. J’ai
tellement le temps que j’ai déjà compté les gouttes d’eau qui tombaient de la
gouttière trouée sur mon rebord de fenêtre après la pluie. C’est une vieille
bâtisse. Ça fait un peu caserne. Ou camp. C’est pas vraiment joyeux même si le
personnel fait ce qu’il peut. À des endroits on a des fresques qui recouvrent
les murs, souvenirs d’une activité colorée entre occupantes. C’est beaucoup d’envolées
d’oiseaux. Avant j’trouvais ça kitsch mais là j’comprends. L’hiver c’est moche.
C’est pas vert ni bleu pour un sou, c’est tout gris et brun. J’ai rien contre le brun ou le gris mais
j’aime aussi les autres couleurs. J’m’habille toujours bien, j’y mets un point
d’honneur, ça me colore.
J’suis là où quand on était petite on se moquait des
gens qui y allaient. Et j’sais pas vraiment pour combien de temps je vais
rester. Jusqu’à ce que ça aille mieux. Faudrait que ça finisse par aller mieux.
Ça va finir par aller mieux. C’est pas possible autrement, personne habite ici.
Enfin j’pense. J’espère. En tout cas, pas dans mon pavillon. Le temps règle
tout. Pis je suis courageuse. J’fais comme on me dit sous la protection d’ma
bulle, il peut plus m’arriver grand-chose. J’sais que c’est pour le bien de
tout le monde. Y’a pas à être désolée de tout ça mais j’suis désolée sans
arrêt. Désolée d’imposer ça. Même si c’est pas de ma faute si on m’a filé ça.
J’prends sur moi, j’me rends coupable à leur place pour qu’il y ait au moins quelqu’un.e de coupable. Il neige, il neige mais ça
recouvre rien. Les petits carrés de gazon entre les pavillons blanchissent pas.
Ça les mouille juste. Mais mes cheveux blanchissent parce que l’horloge de la salle commune fait un bruit monstre. Quand je lis les magazines
qu’on me ramène gentiment, j’arrive pas à enlever le tic-tac. Y’a rien de plus
stressant que ce tic-tac. Mais j’prends sur moi, peut-être que ça en calme
d’autres.
Il fait froid. Pour la promenade faut s’habiller chaudement.
D’habitude j’m’habille chaudement avec même des colliers, tu sais bien, mais là j’suis sortie juste en bas parce que j’avais la tête trop prise...
Mais toi surtout, comment tu vas ? Je suis sincèrement désolée de ne pas t’avoir ouvert la porte et de ne pas t’avoir répondu. J’espère que tu m’en veux pas et que tu comprends. J’avais si hâte de te voir pourtant, j’ai si hâte de te voir, mais ce n’était pas possible je t’aurais éteint de mon souffle froid.
*****
PIS MOI J’PLEURERAI
DE COMMENT T’ES CUTE À TOUTES LES FOIS OÙ JE LIRAI ÇA
avec mon calendrier pour t’attendre - les croix en attendant qu’tu reviennes et qu’tu réussisses à être à nouveau assez concentrée pour mettre tes souliers
sentir que
t’es là sans en être certaine et fondre seule au soleil comme un chien saucisse attaché au poteau devant l’épicerie